Chronique

Lâcher les chiens

Toi qui parles italien et qui as beaucoup voyagé, dis-moi : dans quel autre pays peut-on entendre à la radio une entrevue avec le cardiologue du chanteur de l’hymne national ?

Ben nous, on a ça. Les nouvelles sont excellentes, puisque tu me le demandes. Le cardiologue de Mme Reno est en pleine forme. Et nos joueurs préférés aussi. Ce Dale Weise, Ronald, c’est tout un rapport qualité/prix. À la maison, c’est celui que mes enfants appellent « Bourni » qui épate.

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Pernell Karl S., lui, joue avec la rage au cœur. Ce qu’il y a d’intéressant dans ce pathétique sursaut de racisme anonyme sur les médias sociaux de Boston, c’est qu’il montre au grand jour une réalité sournoise du hockey. Oui, oui, particulièrement du hockey, qui est le sport professionnel le plus « blanc » en Amérique du Nord.

Dans tous les autres sports majeurs, les Noirs sont rois et maîtres ou très, très nombreux dans l’élite. Le hockey ? Il est blanc comme le dos de Lars Eller. J’ai toujours pensé qu’un fond de racisme plus ou moins inconscient teintait les commentaires au sujet de Subban. Ça sourd ici et là dans les critiques excessives. Et même chez ceux qui le louangent. En as-tu assez comme moi d’entendre dire « P.K., c’est un pur sang ! » Dit-on ça des joueurs blancs au talent brut pas tout à fait poli ? Le racisme renvoie l’homme de l’autre race à une forme d’animalité, soit pour l’abaisser, soit pour le glorifier.

Ce n’était pas dit, bien sûr, ça ne se dit pas, ça ne se pense même pas, c’est de l’ordre du refoulé, de l’impensé. Mais sur les médias sociaux... Oh, camarade, les chiens sont lâchés...

Tu es un puriste, Ronald, un vrai connaisseur, et je sais que tu goûtes l’intelligence et la précision de Markov. Mais question spectacle, P.K. nous a tous sonnés mardi soir dans le salon. Émouvant.

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Il fait un temps superbe sur Montréal tout d’un coup et on se met à y croire. Sois attentif au langage des animaux, Ronald, ils ressentent souvent les choses avant les humains. Observe bien tes perruches.

Les marmottes dans la montagne, qu’on trouve généralement névrosées et paranoïaques après six mois dans le noir, s’aplatissent avec assurance de tout leur gras sur des roches au soleil. Les oies blanches n’en finissent plus de passer tout droit avec le V de la victoire, tu as vu ? Un cheval de la police s’est enfui de son enclos. Mets-toi à leur place, si jamais il faut aller contrôler la foule, le jour où... Tu vois ?

Carey Price a perdu ses deux chiens pendant quelques heures et ça, c’est beaucoup plus mystérieux. Les labradors ne sont pas connus pour leur esprit d’indépendance et leur audace. Ça peut s’enfuir de son gardien, un labrador ? Sont-ils passés « par le haut » pendant qu’il était couché ?

Anecdote insignifiante ? C’est mal connaître l’attachement, Ronald. L’incident, la fuite, le retour, tout ça, je crois, l’a rendu encore plus fort mentalement.

Maintenant, tu sais ce qui va se passer ce soir, n’est-ce pas ? Tu les vois venir, ces Bruins ? Tu te rappelles qu’on ne les « haït » pas pour rien ?

Ce soir, Ronald, ils vont lâcher les chiens.

Chronique

L’amour peut mener loin

Yves,

Avec deux minutes à jouer et un but d’avance, Michel Therrien a envoyé Michaël Bournival sur la patinoire. J’ai applaudi dans mon salon. Quelle belle marque de confiance pour un garçon en début de carrière.

Il la méritait. Le p’tit gars – même Therrien l’appelle comme ça – a été patient cette saison. Il a observé et appris, il n’a pas rouspété lorsqu’on l’a laissé dans les gradins, il n’a jamais dit de conneries. Et il comprend très bien ce qui se passe sur la patinoire.

Juste avant, avec quatre minutes à jouer et un score de 3-1, les fans du Canadien ont commencé à chanter « Olé, olé, olé, olé... » Là, dans mon salon, je les ai traités de cons, je l’avoue.

Ils avaient déjà oublié le match précédent ? Quatre buts dans les neuf dernières minutes ?

Et puis c’était vite 3-2, et ils se sont tus.

Mes amis, vous n’aidez pas votre équipe lorsque vous criez victoire trop vite. Et puis vous risquez d’avoir l’air fou...

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Francis Bouillon avait soir de congé, Yves. C’est triste, parce qu’on l’aime bien, mais il avait eu une sérieuse baisse d’énergie dans le match précédent. Bref, il était fatigué. Il n’est plus très jeune.

Que lui réserve l’avenir, Yves, je te le demande. Il faut faire place aux jeunes. On le garde comme septième défenseur pour dépanner ? Il fait très bien ce travail.

Pas très loin de chez moi, il y a un aréna qui porte son nom dans Hochelaga-Maisonneuve, qu’on ne doit pas appeler HOMA, ils n’aiment pas ça.

Et Bouillon n’a pas oublié d’où il vient. Il est présent. Il fournit de l’équipement aux jeunes du coin, comme on lui en avait fourni lorsqu’il était petit.

La sienne est une belle histoire. Parle-moi de surmonter des obstacles.

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Je vais te faire un aveu, Yves. Pendant les heures qui ont précédé le match de mardi, j’ai déclaré que le CH ne remporterait pas une autre victoire dans cette série. Il y a des témoins. Quatre ou cinq. Certains m’ont secondé.

Qu’est-ce qu’elle était belle notre équipe avec une avance de 2-0 en première ! Ça prouve qu’après plus de 30 ans d’expérience dans un domaine, j’en ai encore à apprendre.

J’aime ce groupe de joueurs et, très important, on voit qu’ils s’aiment entre eux. Ils travaillent les uns pour les autres. Ils sont contents lorsqu’un de leurs coéquipiers réussit un petit exploit.

L’amour peut mener loin, Yves, tu le sais.

À propos, nous avons tout de même une série très civilisée. Zéro bagarre, très peu de coups salauds... Qui l’aurait cru ?

Ça serait bien de voir ce type de hockey toute l’année.

Rêvons, comme l’a si bien dit mon cousin Martin Luther King.

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Et maintenant, quelles surprises nous réservent les Bruins ? Vont-ils ressortir Sugar Jim Henry, le fantôme qui rivalisait avec Jacques Plante ? Ça serait une bonne idée, parce que Tuukka Rask semble très nerveux.

Enfin, Yves, souper-match ce soir avec un groupe d’anciennes gloires de Rosemont. Tous des hockeyeurs plus ou moins ratés, comme la majorité des mâles québécois et canadiens. N’oublie pas que nous sommes nés avec des patins aux pieds. C’est du moins ce qu’on a toujours dit, mais j’en doute.

Je t’en donne des nouvelles.

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